De la poésie des Tang aux fêtes d’aujourd’hui, l’alcool coule à flots depuis la nuit des temps en Chine où trinquer est avant tout une marque de respect. Une chronique à lire, bien sûr, sans modération.
Le caractère de l’alcool 酒 (jiǔ) a une forme assez explicite : à gauche, la clé de l’eau, et à droite, un idéogramme faisant penser à une bouteille.
Souvent, on voit dans les peintures chinoises un poète assis sur son rocher, un verre de vin à la main, inviter dans la nuit la Lune à sa table. L’inspiration du poète chinois peut découler de nombreuses sources, dont parfois, la boisson. Cet usage, presque une institution sous certaines dynasties, se désigne par 饮酒赋诗 (yǐnjiǔ fùshī, « boire de l’alcool et composer des poèmes »). Le poète Li Bai et la poétesse Li Qingzhao, respectivement de l’époque des Tang et des Song, ont rédigé de nombreux poèmes « à base de vin », dans lesquels ils épanchent leur tristesse ou leur joie.
L’alcool, qui soi-disant aidait les poètes, était versé dans un « bol à alcool » 酒碗 (jiǔwǎn) ou bien une « coupelle à alcool » 酒盅 (jiǔzhōng), plus tard seulement dans un verre à vin 酒杯 (jiǔbēi).
Lors des banquets en Chine, il est de tradition de boire de l’alcool, et même d’en boire beaucoup (mais un peu) : traduction de l’expression 多喝点(duōhēdiān). D’où l’expression 无酒不成席 (wú jiǔ bù chéng xí), qui signifie « sans alcool, pas de banquet ! ». Par extension, pour les Chinois, sans alcool, la fête n’est pas plus folle…
Peut-être parce qu’ils sont d’ordinaire trop retenus par la culture de l’humilité, les Chinois deviennent plus expressifs et expansifs après quelques verres. Et lorsque l’on rencontre un ami que l’on n’a pas vu depuis longtemps, on dira que « mille verres de vin sont trop peu pour célébrer les retrouvailles avec un ami », soit 酒逢知己千杯少 (jiǔféng zhījǐ qiān bēi shǎo) qui est un vers de : Li Bai ! Il existe aussi « l’alcool de la joie », 喜酒 (xǐjiǔ), qui n’est autre que la boisson dégustée lors des mariages pour célébrer la joie de l’union.
Boire de l’alcool est en Chine une culture appelée 酒文化 (jiǔ wénhuà). Elle répond à un ensemble de règles et de codes. L’une des notions les plus importantes correspond à « la capacité alcoolique » 酒量 (jiǔliàng), pour savoir si une personne tient l’alcool 能喝 (nénghē) ou non 不能喝 (bù nénghē)。
Nombreuses sont les circonstances où l’alcool est de mise en Chine, et rares sont les fêtes où l’on n’en consomme pas. Boire devient alors presque un rite plus qu’un plaisir, et c’est par politesse que l’on poussera son hôte à s’enivrer 劝酒 (quàn jiǔ) avec la main et avec force comme dans le caractère 劝.
Dans certaines régions, boire de l’alcool répond à tout un cérémonial. Ainsi, avant de boire, les convives décident en combien de gorgées chacun doit finir son verre 几口喝干 (jǐkǒu hēgān). Ensuite, avant chaque coup bu en commun, l’hôte prononce un petit speech intitulé 祝酒词 (zhùjiǔcí, « mot pour fêter le vin »). Enfin, après cette mise en bouche, chacun commence à trinquer personnellement avec les autres invités, un procédé décrit parfois par l’hyperbole « se massacrer entre nous », soit 互相残杀 (hùxiāng cánshā). Solliciter une personne en particulier à boire avec soi se dit 敬酒 (jìngjiǔ) : « respecter par l’alcool »). Bien sûr, une invitation doit être rendue : c’est ce que l’on appelle 回敬 (huíjìng) « retourner le respect ».
Si une personne souhaite faire cul-sec avec vous 一口干 (yìkǒugān), vous pouvez néanmoins vous limiter à une petite gorgée et ajouter par politesse 随意喝 (suíyìhē) : buvez à votre gré. Mais, en inversant les rôles, si vous voulez vraiment témoigner du respect à votre interlocuteur ou l’impressionner, vous pouvez faire cul-sec en lui annonçant de boire à sa guise 我干你随意 (wō gān nǐ suíyì) « je fais cul-sec, vous faites comme vous voulez ».
Ce que l’on entend en français par « alcool de riz » n’est en fait qu’une infime partie des alcools que l’on peut trouver en Chine. Comme le vin rouge en France, l’alcool de riz est une véritable institution en Chine, et chaque région, voire chaque ville, produit son propre alcool, aux propriétés et au mode de fabrication spécifiques, avec du riz ou non.
Le plus répandu est l’alcool blanc 白酒 (báijiǔ), qui n’est pas fait à base de riz mais de céréales diverses tels le sorgho ou le blé. Ce que l’on désigne par « alcool de riz » en chinois est le 米酒 (mǐjiǔ). Il correspond à une espèce de pâte de riz fermentée très liquide et sucrée que l’on boit principalement dans le Sud de la Chine.
Dans le Sud, il existe aussi l’alcool jaune 黄酒 (huángjiǔ), alors que dans le Nord, s’achètent majoritairement de « l’alcool blanc » et de « l’alcool brûlé » 烧酒 (shāojiǔ), beaucoup plus fort. Il existe aussi toute sorte de décoctions un peu alcoolisées, aux vertus différentes selon la préparation, que l’on considère comme des « alcools médicamenteux » 药酒 (yàojiǔ) dont « l’alcool aux trois queues » 三鞭酒, réputé pour ses vertus aphrodisiaques… Pas besoin de vous faire un dessin !
Rappelons toutefois que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé et peut amener à « partir en folie alcoolisée » 发酒疯 (fā jiǔfēng), ce qui est très mal vu en Chine. Les propos que l’on a tendance à pérorer lorsque l’on est 醉 (zuì) éméché sont jugées comme étant des 酒话 (jiǔhuà) : paroles d’alcool, et ne valent pas grand chose.
Pourtant, on dit aussi parfois qu’« après le vin viennent les sentiments les plus vrais » 酒后吐真言 (jiǔhou tǔ zhēnyán), à l’instar de l’expression latine « in vino veritas ».