Ou comment devenir un écrivain ?
Vous vous êtes installé devant votre machine à écrire 打字机 (dǎzìjī), parce que c’est vintage et vous avez allumé une cigarette pour mieux ressembler à un écrivain. Mais vous préférez prendre une feuille de brouillon 草稿纸 (cǎogǎozhǐ) avant de commencer à rédiger votre première épreuve 起草 (qǐcǎo) et vous faites un plan 构思 (gòusī) ou « structure de la pensée » avant de vous lancer dans la création 创作 (chuàngzuò) et de rédiger 写作 (xiězuò). Vous espérez ainsi devenir auteur 作家 (zuòjiā) « celui qui crée » ou encore « celui qui tient un stylo » 笔者 (bǐzhě) . C’est votre rêve car depuis que vous êtes petit on vous dit que « avoir de la poésie et des livres dans le ventre embellit » 腹有诗书气自华 (fù yǒu shī shū qì zì huá) et que « lire à fond dix-mille livres vous donnera le pouvoir d’écrire comme un dieu ». 读书破万卷,下笔若有神 (dú shū pò wàn juàn ,xiàbǐ ruò yǒu shén).
Vous avez des romans 小说 (xiǎoshuō), une autobiographie 自传 (zìzhuàn), un recueil de poésie 诗集 (shījí), des essais dans vos tiroirs. Vous aurez des œuvres littéraires 文学作品 (wénxuézuòpǐn) à vous, peut-être même une anthologie 全集 (quánjí) …
Vous claquez rageusement le tiroir de votre machine à écrire 回车 (huíchē) ou la touche Entrée 回车键 (huíchēji àn) de votre ordinateur. Vous vous imaginez déjà les gens vous appeler « un lettré » 文人 (wénrén), un « homme qui lit » 读书人 (dúshūrén), un intellectuel 知识分子 (zhīshífènzǐ), ou encore mieux : « quelqu’un qui a de l’encre dans le bide » : 一肚子墨水 (yīdùzǐmòshuǐ).
Vous enseignerez dans des conférences où vous apprendrez doctement aux gens qu’il faut « lire un livre mille fois pour que le sens vienne de lui-même » 读书千遍,其义自见 (dúshūqiān biàn,qíyìzìjiàn) , que la littérature « reflète tous les phénomènes du monde » 包罗万象 (bāoluówànxiàng), qu’il faut lire bien et réfléchir bien 熟读而精思 (shú dú ér jīng sī) et vous donnerez l’impression d’être cultivé et précieux 温文尔雅 (wēn wén ěr yǎ) . Vous parlerez dans un langage très littéraire 书面语 (shūmiànyǔ) on dira que vous avez du verbe 很有文采 (hěnyǒuwéncǎi) et utiliserez des proverbes 成语 (chéngyǔ) dans toutes vos phrases pour faire intelligent qui feront dire de vous que vous êtes un grand homme de lettres 大文豪 (dàwén háo).
Vous avez des livres en bambou 册 (cè) chez vous, pour faire lettré antique, un bureau-bibliothèque 书房 (shūfáng), auquel vous avez donné un nom poétique : « le cabinet où on entend souffler les cèdres » 松风轩 (sōng fēng xuān) et vous vous amusez même à écrire « écrire » 书 (shū) en caractère traditionnel 書 (shū) pour faire plus classe. Et vous vous rendez compte que « livre » veut aussi dire « écrire » en chinois comme dans 书写 (sh ūx ǐ e). Et qui dit « livre » dit trésor ! Car « Dans chaque livre, on trouve une salle aux trésors » 书中自有黄金屋 (shū zhōng zì yǒu huáng jīn wū). Certains voient aussi les livres comme des bouillons de poule pour l’âme 心灵鸡汤 (xīnlíng jītāng). En tous cas, vous vous avez bien l’envie de faire mûrir les livres au fond de votre cœur 烂熟于心 (làn shú yú xīn) pour trouver l’inspiration 灵感 (línggǎn) parce que là, vous séchez complètement…
Vous prenez peur : « Ne vais-je pas devenir un rat de bibliothèque ? » 书呆子 (shūdāizi). Mencius le disait bien : « Si l’on croit bêtement tout ce qui est dit dans un livre, mieux vaut s’abstenir de le lire. » 尽信书则不如无书 (jìnxìnshū , zébùrúwúshū).Vous arrêtez donc de lire et écrivez, écrivez… Jusqu’à ce qu’une maison d’édition 出版社 (chūbǎnshè) vous contacte. Ils veulent publier votre livre 出书 (chūshū). Vous êtes en relation avec un éditeur 编辑 (biānjí) qui vous demande d’utiliser un logiciel d’édition 编辑软件 (biānjí ruǎnjiàn). Il vous met des annotations 批注 (pīzhù), il vous corrige 修改 (xiūgǎi), il se permet même de supprimer des passages 删除内容 (shānchú nèiróng) et de vous déranger tout l’ordre de votre texte 把顺序弄乱 (bǎ shùnxù nòngluàn) et même de reformuler certains passages…
Vous n’en pouvez plus… 受不了 (shòu bú liǎo). Votre dignité d’écrivain 作家的自尊心 (zuòjiā de zìzūnxīn) est touchée en plein cœur. Vous abandonnez votre machine à écrire et décidez de vous réfugier sur un blog 博客 (bókè) et de faire de la « cyber-littérature » 网络文学 (wǎngluò wénxué). Vous devenez un « cyber-auteur » 网络作家 (wǎngluò zuòjiā) et sortez un livre électronique 电子书 (diànzǐshū). Ce n’est pas la Pléiade, mais au moins, vous êtes lu et surtout, vous êtes libre…