Découvrons comment le nom des nouveautés issues de l’étranger a pu être traduit en chinois.
Vous êtes-vous déjà demandé si le mot « café », désignant presque un symbole de l’Occident, existait en chinois ? Est-il possible pour cette langue millénaire d’intégrer des nouveautés et d’exprimer des idées propres à une société et à une histoire différentes ? Comment traduire les marques des produits étrangers dans une langue dont la prononciation est si particulière ?
C’est à toutes ces questions que cet article se propose de répondre, par un petit tour d’horizon des mots étrangers passés dans le chinois, c’est-à-dire les emprunts.
Il peut paraître étonnant qu’une langue réputée pour sa richesse et sa précision ait besoin d’emprunts, mais à vrai dire, le chinois a souvent eu recours à des mots étrangers, notamment issus du vocabulaire tibétain, mongol ou mandchou pour exprimer des notions reliées au bouddhisme ou à la culture des classes dirigeantes sous les Yuan ou les Qing, dynasties mongole et mandchoue. Ces mots sont parfois restés dans la culture chinoise comme 胡同 (hútong, ruelles de Beijing), terme d’origine mongole, ou encore 咋呼 (zhāhu, fanfaronner) et 麻利 (máli, rapide et adroit), d’origine mandchoue.
Mais je voudrais vous parler des mots qui arrivent de plus loin : de la mer 漂洋过海 (piào yángguò hǎi), de l’étranger. On appelle d’ailleurs les étrangers 洋人 (yángrén), ce qui signifie « les hommes qui viennent de la mer ». Certains de ces termes datent du XIXe siècle, d’autres sont nés plus récemment.
En chinois, plusieurs méthodes existent pour intégrer de nouveaux objets dans le vocabulaire quotidien. La première et plus ancienne consiste à ajouter un 洋 (yáng) ou 西 (xī) devant le nom de l’ancien objet existant. On procède par comparaison. 洋 et 西 veulent dire « étranger » ou « occidental ». Ainsi 洋柿子 (yángshìzi, tomate), 洋葱 (yángcōng, oignon, littéralement « poireau étranger »), 洋火 (yánghuǒ, allumettes), 洋烟 (yángyān, les cigarettes), 西装 (xīzhuāng, costume trois pièces) ou bien 西医 (xīyī, médecine occidentale) font partie de ces mots nouveaux. Il est intéressant de noter que 洋 peut aussi désigner quelque chose de moderne, à la mode : 很洋气 (hěn yángqì) équivaut à « c’est la classe ! ».
Autre cas de figure : l’innovation ne correspond à aucun autre objet antérieur, comme le train qui a fait son entrée en Chine vers la fin du XIXe siècle avec les Anglais. Les Chinois inventent alors un mot en combinant plusieurs caractères pour exprimer l’essence de l’objet. Ainsi, 火车 (huǒchē, « char de feu ») désigne un train. Si la description s’avère trop compliquée, on transcrit phonétiquement le mot étranger en sinogrammes, comme pour sofa (沙发, shāfā) ou café (咖啡, kāfēi).
Certains mots étrangers en chinois révèlent une faculté particulière à décrire les accessoires. Ainsi, pour un jean, on dira un « pantalon de cow-boy » (牛仔裤, niúzǎikù). Les marques étrangères intègrent une certaine pensée chinoise et sont choisies avec attention pour attirer la fortune. Ainsi, Carrefour est traduit par 家乐福 (jiālèfú, « famille-bonheur-joie »), transcription phonétique emplie de sens. Selon le même principe, Coca-Cola devient 可口可乐 (kěkǒukělè, « qui est bon et amène de la joie »).
Certains mots scientifiques résultent également d’une transcription phonétique associée à une valeur sémantique. Le terme « gène » fait partie de ceux les mieux traduits en chinois, car tout en rendant la prononciation anglaise, les caractères permettent une explication claire : 基因 (jīyīn, « cause principale »). On peut évoquer aussi le mot « haker », traduit par 黑客 (hēikè, « hôte noir »). Ces termes sont pour la plupart le résultat de traductions faites au début du siècle dernier par des intellectuels chinois étudiant les sciences occidentales. Ainsi, « politique » (政治zhèngzhì), « économie » (经济 jīngjì), « philosophie » (哲学 zhéxué), « société » (社会 shèhuì), « romantisme » (浪漫主义 làngmànzhǔyì) ou encore « grammaire » (语法 yǔfǎ, « règles de langue ») sont des notions qui n’existaient pas en chinois, mais qui ont pu être créés à l’aide des caractères. Assez pour prouver l’efficacité de cette langue !
De nombreux divertissements venus de l’étranger sont traduits par une construction qui se compose de la transcription phonétique du mot étranger suivie d’une racine chinoise indiquant leur catégorie. On traduira « ballet » par 芭蕾+舞 (bālěiwǔ, ballet+danse) ou bien « jazz » par 爵士+乐 (juéshìyuè, jazz+musique).
La traduction 脱口秀 du mot « talk-show » est aussi une invention intéressante : 脱口 (tuōkǒu, « se libérer la bouche ») pour « talk » et 秀 (xiù) pour « show ».